"Ca va être marqué dans ton dossier... électronique !"

"Tu crois que c'est dans mon dossier?" ; "Ils ne se souviennent même plus de moi !" ; "Si je vais consulter mon dossier, je vais me faire mal voir ?" Le dossier individuel de l'agent public est source de fantasmes... une source alimentée par la grande diversité des pratiques des services de ressources humaines. La dématérialisation de ces dossiers, qu'un décret vient de rendre possible, pourrait être l'occasion de préciser les frontières entre devoir de mémoire et droit à l'oubli dans les administrations françaises.

Le décret relatif "au dossier individuel des agents publics et à sa gestion sur support électronique" vient d'être publié au Journal officiel du 17 juin 2011. Ce texte pris en application de la loi Mobilité du 3 août 2009 précise les conditions dans lesquelles les administrations pourront gérer électroniquement les dossiers individuels de leurs agents. Tout le monde est concerné : non seulement les fonctionnaires, mais aussi les contractuels. Et peu importe que les agents travaillent pour l'Etat, une collectivité territoriale ou un hôpital. Mais la mise en oeuvre de ce décret devrait être très progressive. En effet, chaque administration, chaque collectivité décide si oui ou non elle souhaite passer au numérique, après avis du comité technique compétent.

Dossier individuel : des principes, des pratiques

Commençons par le commencement : qu'est-ce donc qu'un dossier individuel ? Le statut général de la fonction publique - article 18 de la loi du 13 juillet 1983 - répond à cette question : "Le dossier du fonctionnaire doit comporter toutes les pièces intéressant la situation administrative de l'intéressé, enregistrées, numérotées et classées sans discontinuité." Le statut général ne fixe donc pas la composition précise du dossier. Chaque service des ressources humaines apprécie la nécessité d'insérer ou non tel document. D'où de grandes divergences entre les administrations. Soit les dossiers sont trop complets (il est interdit par exemple de garder des éléments médicaux), soit ils sont incomplets. Si toutes les pièces concernant la situation administrative de l'agent doivent y trouver une place, le dossier ne doit pas être exhaustif : "Il ne peut être fait état dans le dossier d'un fonctionnaire, de même que dans tout document administratif, des opinions ou des activités politiques, syndicales, religieuses ou philosophiques de l'intéressé."
Ce même article du statut général précise que "tout fonctionnaire a accès à son dossier individuel dans les conditions définies par la loi". Si ce droit est particulièrement important au cours d'une procédure disciplinaire, il ne s'y réduit pas : depuis la loi du 17 juillet 1978, le fonctionnaire peut accéder librement à son dossier individuel et le consulter dans son intégralité à sa demande. Son dossier, pas celui de son collègue de bureau ! Les dossiers sont confidentiels, l'administration doit veiller à préserver cette confidentialité. Ces règles visent à garantir l'authenticité, la neutralité, la confidentialité et l'accessibilité du dossier individuel... tant que celui-ci était tenu sous format papier. Ainsi, si toutes les pièces doivent être numérotées, c'est pour éviter qu'un document s'égare dans la nature. Tout l'enjeu du décret du 15 juin 2011 est de garantir ces mêmes droits alors que les administrations ont désormais la possibilité de tenir les dossiers individuels sous format électronique. Lors du passage du projet de décret devant le Conseil supérieur de la fonction publique territoriale le 29 septembre dernier, ce point avait fait l'objet de débats au sein de l'instance consultative (voir nos articles ci-contre du 8 et 30 septembre 2010).

Un agent = un dossier

Le décret s'ouvre sur une définition beaucoup plus précise qu'auparavant du dossier individuel, quel que soit son support. Le dossier individuel d'un agent public (fonctionnaire ou contractuel) est "composé des documents qui intéressent sa situation administrative, notamment ceux qui permettent de suivre son évolution professionnelle". Ce dossier individuel est "unique" et tenu suivant les principes posés par le statut général. Il est donc explicitement interdit de multiplier les dossiers sur un même agent.
Les articles 2 à 10 sont consacrés à la gestion du dossier dématérialisé. Celui-ci peut être créé ou géré "en tout ou partie, sur support électronique". Il existe deux solutions pour alimenter ce dossier électronique : soit numériser des documents papier, soit l'alimenter par des fichiers informatiques. Un arrêté ministériel fixera prochainement la nomenclature permettant de classer l'ensemble des fichiers. Afin de préserver l'unicité du dossier, chacune des pièces doit être conservée sous format papier ou sous format électronique. On ne peut pas garder les pièces en double. L'administration doit s'assurer que le dossier ainsi constitué est pérenne : les articles 3 à 5 encadrent les modalités de numérisation, les conditions de lisibilité, le suivi (de sa naissance à son versement aux archives) des dossiers. Les agents en charge de la gestion des dossiers seront habilités par leur employeur, pour une durée limitée, à effectuer une liste précise d'opérations. Cette même habilitation pourra être délivrée "à des tiers et notamment à des représentants du personnel" afin que comme c'est le cas actuellement un agent puisse consulter son dossier assisté d'un représentant syndical.
L'article 9 précise les modalités du passage au dossier électronique. Ce passage fait l'objet de formalité, il ne suffit pas de créer un dossier "personnel" sur son ordinateur ! Il faut "un arrêté ou une décision de l'autorité administrative ou territoriale, pris après avis du comité technique compétent".
La dernière partie du décret est consacrée à l'accès de l'agent à son dossier individuel. Les agents doivent être informés d'un éventuel passage à l'électronique pour que leur droit de consultation soit préservé. Il n'est pas question d'imprimer le dossier électronique pour le soumettre à l'agent : "La consultation doit avoir lieu par affichage sur écran." Si l'agent souhaite obtenir une copie de son dossier, elle peut lui être envoyée soit sur son mail professionnel dans un format lisible soit sous forme papier.
Enfin, en septembre 2010, la direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP) avait annoncé qu'elle publierait prochainement une circulaire sur ce sujet des dossiers individuels visant à uniformiser les pratiques. Cette publication permettra peut-être de préciser ce que doivent faire les services de ressources humaines, qui sont souvent, en la matière, démunis face au flou et parfois à la contradiction des règles à respecter.

 

(Source : Localtis.info)

 

Décret n° 2011-675 du 15 juin 2011 relatif au dossier individuel des agents publics et à sa gestion sur support électronique

 

 


Tag(s) : #Les réformes dans la Fonction Publique